Dans la première partie de son ouvrage, «l’enracinement» prélude à une déclaration des droits envers l’être humain, Simone Weil (1909-1943) aborde les besoins de l’âme.
Simone Weil définit les besoins comme ce qui est dû à un être humain parce qu’il est humain, et qu’il convient de différencier du vice qui lui ne peut être assouvi (l’avare n’a jamais assez d’argent, alors que la sécurité financière peut être atteinte).

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La première obligation envers un être humain est de ne pas le laisser mourir de faim. Cette obligation sert de modèle pour dresser la liste des devoirs éternels envers tout être humain. Certains sont vitaux (protection, logement, vêtements, hygiène…) d’autres sont en rapport avec la vie morale.
Quels sont ces besoins de l’âme qu’il faut respecter (y compris dans les actes moraux de management)?

  • L’ordre
    C’est-à-dire un tissu de relations sociales tel que nul ne soit contraint à violer des obligations rigoureuses pour exécuter d’autres obligations.
    L’ordre est équilibre, harmonie et beauté (ce qui nous rappelle Baudelaire dans le poème des « fleurs du mal », « l’invitation au voyage » : « là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »)
  • La liberté
    Il faut que les règles soient assez simples et raisonnables pour que quiconque en comprenne l’utilité et la nécessité de son imposition. Les règles partagées sont assimilées une fois pour toute et ne sont pas remises en cause à chaque décision. La liberté est alors limitée dans les faits mais illimitée dans les consciences. Les règles ne sont plus des interdits et n’ont donc plus à être combattues.
    L’adulte contrairement à l’enfant ne se cogne plus à des interdits dont il ferait sans cesse l’apprentissage. Seuls les enfants (et les rebelles) sentent leurs limites et donc ne se sentent jamais libres. Seuls les hommes qui croient posséder la liberté et sentent qu’ils n’en jouissent pas en arrivent à penser que la liberté n’est pas un bien.
  • L’obéissance
    Elle est de deux ordres, l’obéissance aux règles et aux êtres humains regardés comme des chefs. L’obéissance suppose un consentement durable sous la seule réserve des exigences de la conscience. Le ressort de l’obéissance est ce consentement ce n’est ni le châtiment ni l’appât de récompenses. L’obéissance n’est pas servile.
    L’obéissance doit être reconnue et partagée par les chefs eux-mêmes (ils obéissent de leur côté) dans un but partagé. Le chef devient symbole et sa liberté est contrainte par les convenances plus encore qu’à la base.
  • La responsabilité
    C’est le sentiment d’être utile et même indispensable. Chez toute personnalité un peu forte le besoin d’initiative et de responsabilité va jusqu’au besoin de commandement. Le chômeur est privé de responsabilité. Un manœuvre s’il ne peut apporter son avis est dans une situation guère meilleure. Il convient d’encourager toutes les mesures qui font prendre conscience à chacun de son utilité et sa contribution à une œuvre commune.
  • L’égalité
    C’est la reconnaissance publique, générale effective et affirmée par les institutions et les mœurs que la même quantité de respect et d’égard est due à tout être humain, car le respect ne souffre d’aucun degré. Les différences parmi les hommes ne doivent pas faire varier le degré de respect.
    Il y a un nécessaire équilibre entre l’égalité et la différence, tout d’abord par la proportion appliquée à l’équilibre social qui impose à chaque homme des charges et des risques en proportion de sa puissance et par la variabilité des valeurs, des stimulants et des marques de considération.
    L’égalité est d’autant plus grande que les différentes conditions humaines sont regardées comme étant non pas plus ou moins l’une que l’autre mais simplement autres. Les professions de patron et d’ouvrier ne sont pas relatives mais différentes comme celle du poète par rapport au mathématicien. Les différences matérielles du mineur de fond sont comptées à l’honneur de ceux qui les souffrent.
  • La hiérarchie
    C’est le dévouement à l’égard des supérieurs considérés non pas dans leur personne mais comme des symboles. Le hiérarchique doit avoir conscience de cette fonction de symbole et qu’elle est l’unique objet légitime du dévouement de ses subordonnés.
  • L’honneur
    Le respect est identique pour tous alors que l’honneur a rapport à chaque être dans son environnement social et culturel.
    Une collectivité doit offrir à chacun de ses membres une part à une tradition de grandeur enfermée dans son passé et publiquement reconnue.
    Toute oppression crée une famine à l’égard du besoin d’honneur car les traditions de grandeur possédées par les opprimés ne sont pas reconnues faute de prestige social.
  • Le châtiment
    La seule manière de témoigner du respect à celui qui s’est mis hors la loi est de le réintégrer dans la loi en le soumettant au châtiment qu’elle prescrit.
    Le châtiment doit être un honneur et la souffrance s’accompagne d’un sentiment de justice. C’est pour cela que le degré du châtiment doit croître avec le positionnement social.
  • La liberté d’opinion
    C’est un besoin pour l’intelligence et par suite pour l’âme.
    Pour autant l’expression de l’opinion est un acte soumis aux restrictions de tout acte. Elle ne doit porter un préjudice illégitime à aucun être humain et ne contenir aucune négation des obligations envers lui.
  • La sécurité
    Elle signifie que l’âme n’est pas sous le poids de la peur ou de la terreur.
  • La propriété privée
    L’âme est isolée, perdue si elle n’est pas dans un entourage qu’elle s’approprie.
    Là où le sentiment d’appropriation ne coïncide pas avec la propriété juridique, l’homme est continuellement menacé d’arrachements très douloureux.
  • Le risque
    L’absence de risque suscite une espèce d’ennui. Il ne faut pas que le risque se transforme en fatalité.
  • La propriété collective
    Ce sentiment de propriété collective est un état d’esprit plutôt qu’une disposition juridique. Par exemple : se sentir propriétaire d’un monument ou d’une entreprise
  • La vérité
    Le besoin de vérité est le plus sacré. C’est l’obligation de bonne foi, la punition du mensonge et le droit au rétablissement de la vérité.
    Il est désormais possible de faire une rapide revue des implications de ces besoins en management :

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